Le programme ITER à la dérive


La Recherche n°422 - septembre 2008 - Cécile Michaut
 
Le coût d'ITER pourrait flamber
 
Quatre-vingts modifications dans la conception du réacteur expérimental de fusion ITER vont entraîner un surcoût non encore précisé.
 

ITER coûtera-t-il bien plus cher que prévu? Le futur réacteur expérimental de fusion nucléaire en construction à Cadarache, dans les Bouches-du-Rhône, devait coûter 10 milliards d'euros : 5 pour sa construction, et 5 pour son exploitation. Son but : prouver la faisabilité scientifique et technique de la fusion nucléaire pour produire de l'énergie. Mais les scientifiques en charge du projet ont réclamé plusieurs changements dans la conception de ce réacteur. Ces modifications ont été acceptées par le conseil, l'organe exécutif d'ITER, lors d'une réunion à Aomori au Japon.  Et qui dit changements dit surcoût.


Le dépassement du budget de construction atteindrait 30%, mais Stephen Dean, président de la fondation Fusion Power Associates, estime dans le journal Nature (1) que le coût total pourrait en réalité doubler. Car il faut aussi compter avec la forte hausse du coût des matières premières, notamment du cuivre des gigantesques aimants servant à confiner le plasma. Mais si le conseil a approuvé le nouveau cahier des chargea d'ITER, il n'en a pas approuvé le surcoût. «Le chiffrage final sera issu d'une procédure longue et compliquée, indique Neil Galder, directeur de la communication d'ITER. Nous avons demandé une évaluation indépendante des coûts par un groupe d'experts internationaux, qui devra aussi proposer des pistes d'économies. Il rendra son rapport en novembre. »
 
Personne, cependant, ne remet en question la nécessité de modifier la conception du réacteur. La précédente datait de 2001, avant que le projet soit rendu au point mort, puis relancé en version simplifiée en 2005 (2). Depuis, des progrès ont été faits tant en physique des plasmas que dans l'ingénierie des réacteurs. Ce sont ainsi pas moins de quatre-vingts modifications qui ont été réclamées, concernant notamment le système de chauffage du plasma par micro-ondes, l'ajout de nouveaux aimants pour mieux contrôler les instabilités du plasma, ou encore le diverteur, un dispositif destiné à extraire le combustible usé.

Les délais ont aussi été revus à la hausse. La date de production du premier plasma, prévue pour 2016, a été retardée à 2018. En effet, deux ans ont été nécessaires pour mettre en place l'organisation juridique, financière et administrative de cette énorme coopération internationale. Car le nombre de pays impliqués augmente la complexité du projet: chacun des sept partenaires dispose d'une «agence domestique », chargée d'assurer sa contribution au programme, qui dispose de son personnel, de son budget, et négocie les contrats en vue d'assurer sa contribution en nature. Cela n'entraîne pas toujours une gestion très rationnelle. Un huitième partenaire devrait, par ailleurs, bientôt rejoindre le consortium: le conseil d'ITER a approuvé l'ouverture de négociations avec le Kazakhstan.

Les gouvernements des pays impliqués dans ITER remettront-ils la main au porte-monnaie ? Rien n'est moins sûr. En décembre 2007, le Congrès américain a déjà pris la décision de ne pas inclure dans le budget 2008 les 145 millions de dollars dus pour ITER... 
 
 
(1) G. Brumfeld, Nature, 453, 829, 2008.
(2) Cécile Michaut, La Recherche, septembre 2005, p.24.

.


Les Echos - 16/06/2010 

Nucléaire : l'Europe peine à mettre le projet Iter sur les rails

L'Union européenne, principal partenaire du programme de recherche sur la fusion thermonucléaire, n'est pas prête à signer le document de base qui l'engage. L'Europe veut d'abord obtenir des Etats membres leur adhésion à long terme. Mais le temps presse : lassé de ces délibérations infructueuses, Washington pourrait réduire son financement à Iter.

DE NOTRE CORRESPONDANT À MARSEILLE PAUL MOLGA, Les Echos

Mauvaise nouvelle pour Iter, ce programme de recherche sur la maîtrise de la fusion thermonucléaire, une technologie censée fournir à la planète une source d'énergie inépuisable et bon marché. Faute d'avoir trouvé un accord sur son financement à long terme, la Commission européenne doit annoncer ce matin qu'elle ne sera pas prête à signer le document qui doit définitivement mettre le projet sur les rails. Ses sept partenaires (Russie, Japon, Etats-Unis, Chine, Corée du Sud, Inde et Suisse) réunis aujourd'hui en Chine sont à cran : en novembre, lors du cinquième conseil d'Iter, l'Europe, pourtant principal contributeur, avait déjà contesté le planning qu'elle estimait trop serré et techniquement trop risqué.

Ce nouveau report pourrait ouvrir une crise diplomatique. « Iter est parmi les sujets les plus chauds du moment pour la Commission européenne, confie un proche du dossier. A cause de ses enjeux en termes de sécurité de l'approvisionnement énergétique mondial, de lutte contre le changement climatique et d'investissement, son statut n'est plus seulement scientifique. C'est désormais un projet politique où le jeu de la diplomatie tient un rôle aussi important que le résultat des équations de recherche. »

Ces dernières semaines, les éclats de voix et recadrages en ont fourni une retentissante démonstration. Le coup est parti du groupe Europe Ecologie, qui a dénoncé « un mirage scientifique devenu un scandale financier », faisant référence au quasi-triplement du budget européen nécessaire, passé de 2,7 milliards à 7,2 milliards d'euros entre la première estimation en 2001 et le devis définitif confirmé fin mars.

Pour tenter de ramener le calme, la présidence européenne espagnole a créé une commission d'urgence qui s'est déjà réunie deux fois, le 3 et le 8 juin, sans pouvoir mettre d'accord les Etats membres. « C'est un bras de fer », témoigne un observateur. Le comité de gestion d'Iter donne 5 droits de vote sur 70 à la Commission européenne, à parité avec la France, l'Allemagne, l'Italie et le Royaume-Uni. L'unanimité est requise pour toutes les décisions.

La commissaire chargée de la recherche, Máire Geoghegan-Quinn, a posé ses conditions lors du Conseil des ministres européens du 26 mai, en exhortant les Etats membres à « mettre Iter sur une base viable et durable pour la durée de la vie du projet ». Autrement dit : l'engagement financier des Vingt-Sept jusqu'en 2040 est un préalable indispensable pour sortir le programme de l'impasse budgétaire.

Deux rendez-vous

« Bruxelles ne libérera l'enveloppe [1,4 milliard d'euros pour engager le gros du chantier en 2012 et 2013] qu'à cette condition, insiste le porte-parole de la commissaire en charge du dossier. On ne peut pas s'engager si on n'en a pas les financements. Il y va de la pérennité de ce projet, dont l'Europe assure 45 % du coût total. »

Les Vingt-Sept plieront-ils ? La commission d'urgence s'est encore donné deux rendez-vous (les 21 et 25 juin) pour tenter de mettre tout le monde d'accord avant la fin de la présidence espagnole et les délibérations budgétaires des autres partenaires internationaux d'Iter. Le temps presse : lassée de ces délibérations infructueuses, l'administration Obama a prévu de réduire de 40 % son financement à Iter dans son projet de loi de 2011 et d'autres pourraient suivre le même chemin. D'où l'empressement de la Commission, qui souhaite que soit convoqué un nouveau conseil Iter avant la fin de juillet.

« Nous sommes confiants », assure-t-on dans l'entourage de Máire Geoghegan-Quinn rappelant l'unanimité obtenue en faveur du projet. Ses deux autres piliers ne font en effet plus débat : les scientifiques sont d'accord pour considérer qu'un plasma d'énergie de plus de 400 secondes dans l'anneau magnétique prouvera la faisabilité industrielle de la fusion.

Le planning a également été approuvé : premier plasma « à blanc » en 2019, puis premiers tests avec les combustibles (deutérium et tritium) en 2026. L'objectif sera de produire 10 fois plus d'énergie que celle nécessaire au démarrage. Une analogie de circonstance avec la situation actuelle.

 

 

Accueil