AFP - Le
bien-fondé d'Iter
contesté par le dernier prix
Nobel de physique japonais
TOKYO (AFP), le 30-01-2004
Dernier prix Nobel
japonais de physique, le professeur Masatoshi Koshiba remet en cause le bien-fondé du
projet de Réacteur thermonucléaire expérimental international (Iter), accusant ses
promoteurs de vouloir faire prendre des vessies pour des lanternes.
Citant un proverbe
chinois - "Tête de mouton, mais viande de chien" -, le Pr Koshiba, 77 ans,
spécialiste de physique fondamentale, reproche aux partisans d'Iter de présenter le
projet comme "la source d'énergie de la prochaine génération", ce qu'il n'est
pas, selon lui. Ambitionnant de produire une énergie propre et sûre en recréant sur
Terre les mécanismes à luvre au cur des étoiles, le projet Iter
devrait entrer dans sa phase opérationnelle en 2014 et être exploité pendant 20 ans,
avec un budget estimé à quelque dix milliards d'euros.
Le prix Nobel de
physique 2002 estime qu'Iter ne remplit pas "un certain nombre de conditions, à
savoir la sûreté et les coûts économiques", pour s'affirmer comme une prochaine
source d'énergie quasi inépuisable. En effet, "dans Iter, la réaction de fusion
produit des neutrons de grande énergie, de 14 MeV (mégaélectronvolts)", niveau
jamais atteint encore, explique M. Koshiba, qui est âgé de 77 ans. "Si les
scientifiques ont déjà fait l'expérience de la manipulation de neutrons de faible
énergie, ces neutrons de 14 MeV sont tout à fait nouveaux et personne à l'heure
actuelle ne sait comment les manipuler", avertit le professeur honoraire de
l'Université de Tokyo.
Actuellement,
souligne-t-il, la fission nucléaire libère des neutrons d'une énergie moyenne d'un ou
deux MeV seulement. Pour M. Koshiba, les scientifiques doivent d'abord résoudre ce
problème des neutrons de 14 MeV "en construisant des murs ou des absorbeurs"
avant de pouvoir affirmer qu'il s'agit d'une énergie nouvelle et durable. C'est,
affirme-t-il, une solution très coûteuse. "S'ils doivent remplacer les absorbeurs
tous les six mois, cela entraînera un arrêt des opérations qui se traduira en un
surcoût de l'énergie", critique le physicien. "Ce projet n'est plus aux mains
des scientifiques, mais dans celles des hommes politiques et des hommes d'affaires. Les
scientifiques ne peuvent plus rien changer", déplore-t-il avant d'ajouter :
"j'ai peur".
L'Union
européenne, la Russie, la Chine, les Etats-Unis, la Corée du Sud et le Japon participent
au projet Iter (International Thermonuclear Experimental Reactor). Deux sites sont en vive
concurrence pour accueillir l'installation : Cadarache, dans le sud-est de la France, et
Rokkasho-Mura, dans le nord du Japon. L'Union européenne, Moscou et Pékin soutiennent la
candidature française tandis que Washington et, apparemment, Séoul, lui préfèrent le
site nippon. Réunis une première fois à Washington le 20 décembre, les six partenaires
n'ont pas réussi à se mettre d'accord sur le choix du site.
Une deuxième
réunion devrait avoir lieu fin février. En attendant la décision finale, la France et
le Japon se livrent à une intense campagne de pressions. "Je souhaite que le
gouvernement français ait l'honneur d'accepter Iter dans son propre pays", ironise
M. Koshiba. "Les scientifiques français sauront peut-être mieux gérer ces neutrons
de 14 MeV. Après tout, le France est déjà activement impliquée dans le traitement des
matériaux radioactifs dans ses centrales nucléaires". "Je pense, conclut-il,
que, certainement, les scientifiques et les ingénieurs français ont plus de
connaissances et d'expérience que ceux des autres pays pour s'attaquer à ce nouveau
problème de neutrons 14 MeV", conclut-il.