LE FIGARO -
10/11/04 - Cyrille Vanlerberghe
L'immense défi de la maîtrise de l'énergie des étoiles
Des doutes scientifiques
sur la fusion nucléaire
Malgré l'optimisme affiché par le gouvernement
français, de nombreux doutes planent sur la réussite d'Iter. Ce grand projet de
réacteur de fusion sera-t-il vraiment capable de maîtriser l'«énergie des étoiles»
avec l'objectif de fournir une électricité peu polluante et en quantité presque
illimitée durant le XXIe siècle ? Pour les écologistes, Iter n'est évidemment qu'un
nouveau grand programme nucléaire, producteur de déchets radioactifs, qui viendra
bloquer des crédits qui pourraient être investis dans des énergies renouvelables.
En fait, les critiques les plus sévères et
les plus justes que doit affronter le projet viennent tout droit de la communauté des
physiciens. En France, comme au Japon d'ailleurs, les chercheurs s'interrogent d'abord sur
le coût du projet qui en fait le plus lourd programme de recherche jamais lancé, à part
la Station spatiale internationale (ISS). Les dépenses élevées et soutenues consacrées
à Iter grèveront sans doute les budgets d'équipement de la majorité des chercheurs non
concernés par la physique des plasmas nécessaire pour maîtriser les réactions de
fusion. En outre, de nombreux scientifiques doutent aujourd'hui de la faisabilité
technique et scientifique de l'entreprise.
Faire fusionner des noyaux lourds d'hydrogène
(du deutérium (D) et du tritium (T)) est un défi extraordinaire. Il faut à la fois
porter le mélange à des températures atteignant 100 millions de degrés et réussir à
maintenir les réactions de fusion pendant des longues durées, en espérant à l'avenir
un fonctionnement en continu. Le principal souci expérimental vient du fait qu'aucun
matériau ne peut résister à d'aussi hautes températures. La solution retenue par Iter
consiste à confiner D et T dans un grand anneau à l'aide de puissants champs
magnétiques produits par des bobines supraconductrices.
La taille gigantesque de la machine est
contrainte par la nécessité d'atteindre des conditions de températures et de pression
suffisantes pour obtenir l'allumage de la fusion. Même si Iter atteint tous ses
objectifs, ce qui paraît tout de même possible au vu de l'acquis obtenu grâce aux
machines précédentes, comme le JET à Culham en Grande-Bretagne et Tore Supra à
Cadarache en France, il ne s'agit que d'un réacteur de recherche, pas d'un prototype
industriel.
Trois physiciens français, Sébastien Balibar,
Yves Pomeau et Jacques Treiner, faisaient remarquer dans une tribune (Le Monde, 25 octobre
2004) que le fonctionnement du réacteur produirait un flux intense de neutrons très
énergétiques (14 MeV, ou millions d'électron volt) auquel aucun matériau connu
aujourd'hui ne peut résister. D'autre part, si le deutérium se trouve en abondance sur
Terre, dans l'eau de mer par exemple, il n'existe aucune source naturelle de tritium, un
matériau radioactif instable dont la quantité est divisée par deux tous les douze ans.
La production de quantité suffisante de tritium devrait en théorie être faite grâce
aux neutrons émis par le réacteur de fusion, mais cet aspect de la recherche est absent
du programme Iter.