Claude Allègre
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L'Express - 30/05/2005
L'installation à Cadarache du réacteur à fusion nucléaire est une mauvaise
nouvelle pour notre recherche
Le président nous a annoncé fièrement que la France allait battre le Japon et obtenir
le site du réacteur expérimental de l'avenir, qui serait installé à Cadarache
(Bouches-du-Rhône). Et tout le monde de se réjouir, surtout en Provence, où les hommes
politiques, fiers, ignorants et naïfs, sont persuadés qu'Iter (International
Thermonuclear Experimental Reactor) va leur apporter richesse, prospérité et prestige!
Malheureusement, rien de tout cela ne se produira: Iter saignera à blanc les
collectivités locales et affaiblira encore un peu plus le budget de la recherche
française. Coût de l'opération: 12 milliards d'euros! Iter est encore un de ces projets
de prestige qui ont, dans le passé, épuisé les finances de notre recherche. Ce fut
d'abord la télévision haute définition, ensuite la construction du grand accélérateur
national d'ions lourds (Ganil) à Caen, puis les vols habités dans l'espace et, enfin, la
Station spatiale internationale. Résultats pour la science? Rien, ou presque. C'est
aujourd'hui le laser Mégajoule, à Bordeaux, et Iter, à Cadarache.
On nous dit: Iter, c'est l'énergie du Soleil, c'est extraordinaire, c'est l'avenir! C'est
ce que l'on disait déjà il y a quarante ans, lorsque a commencé le projet d'étude de
la fusion contrôlée. L'idée de départ n'est certes pas inintéressante. Au lieu de
fissionner des noyaux atomiques lourds pour obtenir de l'énergie, comme dans les
réacteurs actuels, on cherche à fusionner des noyaux atomiques légers pour obtenir
encore plus d'énergie. C'est la séquence suivie dans la fabrication des bombes
atomiques. Après celle, classique, d'Hiroshima, on a fabriqué la bombe H, plus
puissante, plus meurtrière, mais moins polluante (sic).
Toutefois, si l'on sait réaliser la fusion de manière explosive, on ne sait pas la
contrôler. Et, depuis quarante ans, on tourne en rond. Des projets comme Iter, on en a
installé à Princeton aux Etats-Unis, puis en Grande-Bretagne, mais on n'a jamais
vraiment progressé, faute d'une idée scientifique innovante. Les Américains, autrefois
moteurs de cette recherche - ils la finançaient à 60% - l'ont abandonnée. Peut-être
participeront-ils à hauteur de 5% demain? Ont-ils renoncé pour autant à l'idée de
maîtriser la fusion? Nullement, mais ils recourent à des méthodes plus astucieuses et
moins chères.
Ainsi, dans l'une des dernières livraisons de la revue Nature, une équipe américaine
dit avoir réalisé une fusion nucléaire dans un cristal pyroélectrique avec un
dispositif assez simple! Ce n'est certes pas la solution, mais ce travail illustre un
état d'esprit. Aux Américains les astuces bon marché et les idées neuves, à nous les
dépenses somptuaires et inutiles! Car Iter n'est pas un réacteur: c'est un engin
destiné à la recherche fondamentale, un engin qui offre peu de chances de réussite!
Si le gouvernement et la région Provence-Alpes-Côte d'Azur veulent dépenser de l'argent
pour la recherche, ce qui me réjouit, pourquoi n'ont-ils pas relancé le réseau de
génopôles que nous avions créé avec les centres d'Aix-Marseille spécialisés dans la
recherche médicale et pharmaceutique? Pourquoi ne pas développer sur le site de
Cadarache le réacteur nucléaire propre, sans déchets de longue période, dit «de
quatrième génération»?
Tout cela emploierait plus de personnes, serait plus utile pour la France, et nous
éviterait de dépenser nos deniers en achetant du matériel de haute technologie aux
Etats-Unis ou au Japon
Claude Allègre